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L’Âge d’or du tatouage

2020-12-12 - Philippe Gravel

Aux prémices de ma conscience, mon père m’a rapidement initié au dessin et je me souviens lui avoir demandé pourquoi il n’était pas devenu un artiste vu le talent qu’il avait. Il me raconta à ce moment sa rencontre avec un portraitiste incroyable avec un niveau très impressionnant dans son art. Mais cet homme assez âgé vivait dans la rue, dans la précarité, la pauvreté : La vraie vie de bohème quoi. C’est ainsi que mon père a réalisé que pour subvenir aux besoins du foyer familial auquel il aspirait, il devrait renoncer à se lancer dans sa carrière d’artiste. Il n’a donc jamais vraiment eu l’occasion de développer son talent artistique à son plein potentiel. Son rêve fut relégué aux oubliettes.


En contraste, à 27 ans, je suis rémunéré considérablement bien pour mes services artistiques. J’ai une sécurité financière dans le métier du tatouage. De nos jours, il est simplement plus facile de, comme on dit, vivre de son art. Avec les réseaux sociaux, lorsqu’ils sont bien utilisés, on peut avoir une qualité de vie plus que décente, et ce, même pour les métiers d’art en dehors du tatouage. L’accélération constante du rythme des communications, le partage en masse, permet aux artistes d’être 100% indépendants en tant que travailleurs autonomes et d’avoir de la bonne publicité sans avoir besoin d’exposer son travail physiquement dans une galerie d’art.


Loin de moi l’idée de dévaloriser les galeries d’art. Au contraire je crois qu’il y a quelque chose de radicalement nouveau qui se passe dans les galeries en réponse au présent phénomène et, clairement, des nouveaux concepts à développer dans les expositions de beaux arts. Mon point est simplement que c’est un changement énorme qui s’est produit en très peu de temps.


Les tatouages ont passé d’une affaire de bandits et de crime organisé à une affaire de mode, mais aussi d’expression artistique.


Concrètement, cela veut dire que dans la conscience collective, le tabou criminel disparait tranquillement. Plus de gens veulent des tatouages que jamais auparavant dans l’histoire de l’art. C’est pour cela que l’on parle de l’Âge d’or du tatouage à travers l’industrie. C’était autrefois une culture très « underground » et, maintenant, c’est sans l’ombre d’un doute devenu « mainstream » ou populaire. En d’autres mots, c’est devenu très accessible et donc facile à rentabiliser pour quelqu’un d’assez patient et passionné. Il y a toute une communauté internationale construite autour de cette nouvelle culture du tatouage qui ne cesse de grandir. À cause de cette abondance de la demande, j’ai toujours considéré le tatouage comme un pont et non une finalité. Parce que c’est une valeur sure, le tatouage, étant en soi une super belle carrière, permet aisément aussi de faire le tremplin vers d’autres médiums.


Je m’explique : en ayant un revenu stable comme base, le métier de tatouage peut permettre à un artiste de subvenir à ses besoins tout en gardant sa concentration et son énergie dans un milieu artistique. C’est beaucoup moins risqué de prendre le temps nécessaire pour developper un portfolio de dessins, peinture, photo, sculpture, sérigraphie ou n’importe quel autre métier artistique si le souci financier est réduit è un minimum. Cela devient intéressant de developper en dehors du tatouage un bagage de connaissance supplémentaire, car les autres médiums viendront simplement compléter l’identité de l’artiste ainsi que sa réputation. Pratiquer son art en toute tranquillité, sans avoir un stress financier au-dessus de la tête n’a pas de prix, je crois, et le tatouage apporte cela à beaucoup d’artistes. Toute la liberté et la prospérité qui découle de cette belle culture fait en sorte qu’il y a de plus en plus de compétiteurs sur le marché, alors cela demande encore plus de livrer une marchandise impeccable pour répondre aux attentes de plus en plus élevées. Cette industrie croît tellement vite que quelques semaines sans travailler et on a l’impression que nos compétiteurs ont pris une petite longueur d’avance.


En gros, tout cela, c’est du jamais vu. Le tatouage est devenu l’une des formes d’art les plus connues, appréciées et surtout l’une des plus payantes et accessibles pour les artistes. On assiste à une sorte de renaissance artistique en ce moment, car les gens sont de plus en plus intéressés à consommer de l’art, que ce soit sur leur corps ou chez eux. Et les artistes sont de plus en plus nombreux. Avec la venue de nouveaux outils plus performants et des tablettes qui donnent une capacité d’expérimentation assez vaste, il faut dire que le standard de qualité n’a rien à voir avec celui d’il y a 10 ans. Franchement, la limite est désormais difficile à identifier. Mais toute cette nouvelle culture qui est apparue subitement a aussi apporté sa part de charlatans, de mauvais plis et de techniques inefficaces, plus de gens qui font n’importe quoi. Il revient aux artistes de faire leurs devoirs et aux clients de faire leurs recherches.


 Différentes branches se forment aussi, tant au niveau visuel qu’au niveau de la philosophie. Certains vont s’identifier à l’aspect mode, d’autres œuvrent plutôt dans l’expression d’une symbolique. Certains voient les tatouages comme des bijoux ou des accessoires, d’autres y reconnaissent des tableaux énormes. Certains y reconnaîtront des talismans qui énergisant celui qui le porte d’une inspiration, d’un rappel ou d’une affirmation. Il y a aussi ceux qui voit le tatouage comme une expérience, un défi d’engagement envers soimême, un défi par rapport à la réaction psychologique à la douleur. En plus de fixer une histoire ou une idée sur son corps, une douleur marque cet accord avec soi-même, créant un rituel avec beaucoup d’impact sur le subconscient. Puis, finalement, il y a aussi ceux qui voient le tatouage simplement comme un boulot, donc une entrée d’argent et puis c’est tout. À mon avis, on se rapproche plus dans ce cas-ci d’un technicien que d’un artiste. Cela peut sembler négatif, mais certains clients cherchent exactement cela. Le tatouage est devenu une industrie qui touche, de près ou de loin, à peu près tout le monde. Il y en a simplement pour tous les goûts et c’est pour cela que je dis que les clients doivent faire leurs recherches et poser les bonnes questions aux artistes pour identifier le profil d’artiste qui leur convient, qui répondra à leurs attentes et qui racontera leur histoire.

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